C'est une question essentielle aujourd'hui car elle constitue l'une des deux conditions de l'obtention de ce droit au séjour, selon la loi du 7 mars 2016 en application aujourd’hui (article 13) :
"Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit à l’étranger résidant habituellement en France, 1. si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et 2. si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié. »
Les professionnels de santé publique qui analysent les systèmes de santé savent bien que la réponse à cette dernière question est complexe et qu'elle implique une connaissance qualitative et quantitative approfondie de chacun des systèmes de santé des pays d'origine. Or, à part dans quelques rares organisations internationales comme l'OMS, l'OCDE, la Banque Mondiale... peu d'institutions pourraient prétendre répondre à une telle question, pour compléter toutes les situations médicales correspondant au point 1 de la Loi.
Sachant qu’il y a plus de cent pays d’origine des demandeurs en France, comment en pratique les médecins en charge de donner un avis selon la Loi, ceux des ARS avant 2016 et dorénavant ceux de l’OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration), peuvent-ils juger de cette accessibilité lorsqu’ils instruisent les dossiers des demandes ? Serait-il raisonnable de leur demander d’aller consulter seuls les nombreuses bases de données internationales décrivant les systèmes de santé en question, les pathologies, les données sur les infrastructures et les médicaments, etc. ?
C'est pourquoi l’OFII a mandaté 3 spécialistes de santé publique (dont l'auteur) avec pour objectif d'élaborer des fiches sur les principaux pays d'origine des migrants en France, inclues dans une base de données documentaires appelée BISPO. Il s'agit d’aider les médecins de l'OFII à comprendre au mieux la situation et le fonctionnement des systèmes de soins concernés mais aussi l’accessibilité potentielle des soins nécessaires pour les demandeurs pour permettre :
• Une meilleure équité de traitement des dossiers sur tout le territoire ;
• Des avis aussi harmonisés que possible.
L'exercice est complexe et l'outil BISPO ne permet en aucun cas une réponse scientifiquement définitive, d'autant plus que les systèmes de santé de tous les pays évoluent en permanence. C'est un outil d'aide à la décision des médecins de l’OFII sur un des aspects de leur mission. Mais elle n’est pas destinée à produire une réponse univoque pour chaque « cas individuel » sur cette accessibilité : il s’agit plutôt d’avoir une connaissance plus précise, une "impression d'ensemble", sur les capacités et compétences des pays d’origine.
Le choix du format et des informations a été fait pour être le plus facilement compréhensibles et lisibles en peu de temps, car les médecins instruisant les dossiers ne sont pas des spécialistes de l’évaluation des systèmes de santé et sont tenus par des délais pour rendre leurs décisions.
La méthodologie et les choix ont fait l'objet d'un article dans la rubrique AGORA de la revue de Science-Po "Les tribunes de la santé" Téléchargement Article Sève N°57
Ce travail sur la BISPO montre surtout qu’au-delà des discours, au delà des bonnes intentions » d’une politique publique, la mise en oeuvre d'un texte de loi doit parfois demander un travail approfondi pour en permettre une application pratique et cohérente. La notion qui semble simple à écrire de l’« accessibilité des traitements dans le pays d’origine » soulève à elle seule des questions complexes au niveau scientifique et opérationnel. Par ailleurs, nul n’est en mesure de faire une enquête médico-sociale individuelle au cas par cas.
Ainsi, l’expérience professionnelle et la compétence des praticiens qui opèrent dans le cadre du programme « étrangers malades » est indiscutable, mais en l’absence d’outils complémentaires d’aide à la décision, ce qu'est la BISPO mise en place par l'OFII, il leur serait plus difficile d'exercer leur jugement sur le point de la Loi concernant l'accessibilité des soins dans les pays d'origine.
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