C’est aujourd’hui le thème incontournable de tout discours, de toute stratégie des acteurs et décideurs en santé publique : inviter les citoyens à la table de la prise de décision en santé et sur leur santé. Plus avant, la question se pose aussi du regard, des pratiques et des imaginaires des citoyens sur la gouvernance de la santé.
Quelle valeur donner à l’usage ?
J’étais invité samedi dernier à parler à la Sorbonne dans une table ronde d’un colloque dont la thématique était « la santé en chair et en nombres : regards croisés sur les technologies en santé ». (https://enchairetennombres.wordpress.com/
Le thème spécifique de ma table ronde était « LA VALEUR DE L’USAGE, OU COMMENT L’USAGE ENTRE-IL DANS LE CHAMP DE LA VALEUR ? »
Le développement de la thématique qui nous était proposé était le suivant : « La figure du patient, qui associe désormais son entourage, évolue : en capacité de gérer sa santé, de faire des choix éclairés, d’associer des préoccupations de bien-vivre à celle de l’acte médical il doit désormais être pris en compte dans les modèles d’affaire, comme décideur ou comme payeur. L’influencer devient un enjeu ce qui perturbe le colloque singulier. En même temps, chaque patient est singulier, et sa volonté de se prendre en charge varie dans le temps, selon les circonstances, l’entourage. Sa sensibilité au risque, à la connexion permanente varie également. Comment les acteurs économiques, offreurs, pouvoirs publics peuvent-ils prendre en compte ces éléments ? »
J’en ai fait la lecture suivante pour cette table ronde :
Tout d’abord, on m’avait demandé de parler de « literacy et d’empowerment ». J’ai dit que je n’étais pas sur de bien savoir ce que ça voulait dire : les grands mots à la mode dans nos milieux viennent souvent de nos voisins anglophones, j’ai souvent vécu ça à l’OMS. Mais très souvent, le temps qu’on traduise le mot dans nos cultures et qu’on comprenne de quoi il s’agit, tout le monde est déjà passé à autre chose…
J’en suis donc resté à l’idée générique de besoin d’une plus grande implication des citoyens dans la santé, dans leur participation aux décisions et au fait que ça implique inévitablement de bien connaître ce que veulent et font les citoyens avec et pour leur santé. Les usagers ont des usages et des imaginaires qu’il faut connaître.
Du côté des patients on assiste à des regroupements associatifs autour de maladies et de problèmes de santé divers, à la constitution de collectifs d’associations, au lancement de « class actions » contre des institutions qui leur font du tort et souvent à un lobbying de plus en plus présent et quasi « professionnel » auprès des pouvoirs publics.
Du côté des médias, on sent bien que le poids des réseaux sociaux arrive sur le devant de la scène, en combinant des sites informatifs avec des forums de patients, d’aidants, de familles… L’expression de tous y est plébiscitée, souvent sans modération ni modérateur. Il y a à boire et à manger, de tout, et n’y voyez pas un refus des médias sociaux de ma part, j’en suis un acteur actif. Mais notre apprentissage reste à faire
Du côté des professionnels et des pouvoirs publics, on espère toujours pouvoir canaliser cette soif de connaissance et d’apprentissage de la santé, en restant sur des notions qui restent légitimes mais souvent un peu à la traîne car plus « scolaires » dans l’approche, plus « top – down » : on parlera d’éducation à la santé, de promotion de la santé, d’éducation thérapeutique par les professionnels… la construction de sites d’information officiels, le lancement de campagnes d’éducation sont plébiscités… Et là aussi, j’y crois pour une part et y apporte ma participation le cas échéant.
Du côté des industries de santé et de divers offreurs de services divers, pas question de rester de côté. Les prescripteurs et influenceurs des décideurs dans ce marché des services et produits de santé ne sont plus les seul professionnels de santé « officiels » et les industries « traditionnelles » (médicaments, matériel médical…)… Les producteurs et opérateurs des outils liés aux grands mouvement de connectique généralisée des citoyens, pour ne citer qu’eux, sont très activement présents. Mais aussi, et je le dis dans le désordre, le yoga, la nutrition de santé, les médecines alternatives plus ou moins agrémentées de technologies variées, etc. Dans un désert évaluatif extraordinaire. Les citoyens au sens large y ont un rôle essentiel d’influenceur des développements et du coup la communication et le marketing changent de cible.
L’évaluation me permet une transition pour reparler de l’usage et des pratiques comme paramètres essentiels des décisions en santé.
Une anecdote : depuis trente ans, les méthodologistes de l’évaluation du médicament plaident pour que le suivi de l’utilisation réelle des médicaments, dans la vraie vie, c’est à dire l’usage que font les patients en réalité de leurs produits, soit un paramètre règlementaire des médicaments. Ca s’appelle la pharmaco-épidémiologie. Il aura fallu plus de 20 ans et les derniers scandales du médiator et des prothèses de sein pour que les autorités sanitaires acceptent de changer leurs habitudes en matière de méthodologie. Il s’agit bien de l’introduction de l’usage dans un processus de valeur reconnue pour l’évaluation des technologies et les décisions les concernant.
L’usage, c’est donc de
- Savoir ce que pensent et attendent les citoyens, les usagers du système, les patients
- C’est aussi de savoir ce qui ce passe dans la vie réelle en matière d’achats de services, de biens et de produits et leurs modalités d’utilisation.
- C’est aussi de surveiller l’apparitions de nouveaux professionnels : d’une part ceux qui se positionnent sur la collecte et même la commercialisation des données réelles d’usage/utilisation des services et produits (et il peut s’agir aussi des pouvoirs publics de santé)… et d’autre part ceux qui se positionnent sur l’offre de nouveaux services et produits, parfois avec vivacité.
Mais, en termes de santé, une alerte à garder en tête est qu’on souhaite un minimum d’efficacité et d’efficience de toutes ces pratiques et outils de connaissance vis a vis du devenir des états de santé individuels et collectifs.
La question posée est donc bien celle d’un lien à établir obligatoirement entre des usages qui s’imposent et une vraie valeur ajoutée « de santé ». Ca n’est pas gagné simplement en le disant. Et parfois la santé améliorée de quelques uns peut même s’accompagner de diminution d’accès et d’impacts négatifs pour la santé des autres citoyens…
L’évaluation en termes de santé (et pas seulement de satisfaction) reste donc essentielle pour l’ensemble des nouvelles pratiques, même si elles sont plébiscitées par les citoyens. C’est un minimum de transparence à maintenir, l’histoire fourmille d’exemples de « savoirs » et d’usages qui se sont révélés inappropriés, inefficaces et même contre-productifs…
Dans un monde économique souvent très efficace de son côté à promouvoir de nouveaux produits et services dans un objectif d’efficacité commerciale uniquement (un marketing et une promotion qu’on dira légitime pour une entreprise), rien n’impose un objectif collectif d’optimisation de la santé des populations concernées.
En conclusion, quelle évaluation des nouveaux outils, la connectique et ses objets et applications numériques en particulier ?
Quelles instances pour veiller et protéger les citoyens des modes et désirs « provoqués » par un bon marketing le cas échéant ?
Quelles innovations organisationnelles indispensables pour concilier le dynamisme de l’usage et la prudence « conservatrice » des pratiques éprouvées et évaluées ?
Un modèle intéressant pourrait se construire autour des « living lab », outils de participation citoyenne et professionnelle autour d’une thématique spécifique. Il en existe déjà en santé (Diabète LAB par exemple). Le monde de la santé publique devrait surement regarder plus souvent de ce côté pour concrétiser le slogan de la multidisciplinarité nécessaire à notre discipline. Sans en attendre une recette miracle peut-être, mais une bonne source d’inspiration.
Pour information : L’animateur de la table ronde, Robert Picard, a produit une synthèse d’un travail collectif autour de la santé et l’autonomie qui apporte des éléments de compréhension de la démarche des living labs.
http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/Actualites/Synthese-1_web.pdf
le theme « LA VALEUR DE L’USAGE, OU COMMENT L’USAGE ENTRE-IL DANS LE CHAMP DE LA VALEUR ? » demande des recherches approfondies, Bonne chance
Rédigé par : mon site | 02 juillet 2016 à 11:39