Ha, Ha, Ha… C'est une blague d'évaluateur, bien sur. Ca n’est (malheureusement) pas près d’arriver.
En effet, le paradigme dominant est qu’un haut fonctionnaire, issu le plus souvent d’une grande école, est a priori compétent en tout. Donc cette règle de droit commun d’un « appel à candidature » compétitif ne s’applique pas. Et pourtant, imaginons, juste pour jouer : fiches de poste, appel à candidatures ouverts et mécanismes de sélection transparents avec plusieurs candidats par poste...
Car il ne faut pas oublier que nous parlons d’une élite qui a, pour la plupart de ses membres, passé et réussi des concours d’entrée dans des écoles « prestigieuses », le plus souvent très jeunes, et que ce seul fait serait une « garantie » de compétence pour la vie. Ils vont entrer « en haute administration », souvent sur la base de leurs classements à la sortie des écoles (ENA en tête, la crème des crèmes, mais il y a aussi d’autres « fabriques » de hauts fonctionnaires).
Et ils ont ensuite devant eux toute une vie pour identifier, solliciter, « obtenir » les postes qui les arrangent et qui leur sont réservés, en tenant compte de règles implicites (connues du seul petit groupe d’élus) de transmissions de postes… qui ne donnent pas, vues de l’extérieur, l’idée d’une recherche d’efficience et d’efficacité uniquement.
Pendant longtemps, tant que la haute fonction publique restait dans ses murs, tant qu’elle assurait de fait un fonctionnement administratif et juridique permettant un contrôle optimal de l’exercice de l’Etat compatible avec les exigences d’une démocratie moderne… c’est à dire pour mettre effectivement en œuvre au mieux des décisions prises par des élus avec l’aval de leurs électeurs et en accord avec les grands principes et textes fondateurs de la république, personne n’était trop regardant sur la distribution interne des cartes. Surtout que pour ces fonctions administratives, de contrôle, ou de gouvernance de la « chose publique » sous contrôle des élus, ça convenait au pays.
Mais aujourd’hui, beaucoup plus que dans le passé, ce rôle un peu souterrain, voire subalterne, peu visible et surtout un peu « ennuyant » à la longue, conduit nombre de nos hauts fonctionnaires à s’exporter de plus en plus souvent en dehors de leurs corps ou de postes « de gouvernance administrative » traditionnels, pour viser des postes plus pointus et visibles, plus techniques, dans des institutions et entreprises qui « produisent » du service ou des biens, et ce toujours au plus haut niveau car ils ne s’auraient s’abaisser à « progresser » comme les autres. Par exemple, on a vu récemment, dans une institution publique assez « technique », lors du départ du dirigeant exécutif, une recherche élargie de candidats qui a été diffusée et publiée très largement dans des medias divers ; une trentaine de candidats officiels se sont déclarés et une « short liste » finale réduite a été établie ; mais en parallèle le poste circulait dans les grands corps de l’Etat et un haut fonctionnaire qui passait par là (hors compétition bien sur…) s’est dit intéressé et a été immédiatement nommé par les instances supérieures, hors du processus de sélection annoncé officiellement… Personne n’y a vu à redire !
Et puis il y a la tentation des postes politiques eux-mêmes, y compris électifs… où l’entrée est plus simple pour eux car ils côtoient déjà en permanence les élus et connaissent toutes les « ficelles » et régulations, pour en être les contrôleurs ou même avoir aidé à les mettre en œuvre. Mais attention, tout ça sans prendre de risque excessif… si ça ne marche pas, retour au bercail de l’Etat garanti. Pas question de « démissionner » pour aller faire cet « autre chose ». Un genre de Contrat à Durée Eternelle (CDE).
Tout ça est tellement naturel que certains n’ont parfois plus la « pudeur » de garder ça pour eux et en font même un objet de fierté ou de discours public : ainsi, lors d’un discours de prise de fonction, un nouveau dirigeant nommé par un ministre a déclaré « je vais faire des réformes et il faudra qu’elles marchent, car sinon je retournerai dans mon corps d’origine et vous vous débrouillerez »… Imaginons la même chose avec un capitaine de bateau dans la tempête, décrivant l’hélico sur le toit pour s’échapper si ses manœuvres échouent !!!
Certes, il faut reconnaître que la compétence reconnue à ces élites est souvent réelle et que par ailleurs il y a un aspect positif certain à ces allers retours professionnels, qui leur permet de mieux connaître la société « du dehors » qu’ils sont censés « administrer, contrôler et réguler ». On pourrait même imaginer encourager « pour tous » des passages obligés dans la société civile. Mais le fait que nos élites administratives ne peuvent que viser immédiatement et uniquement les postes de dirigeants pose un problème de compétence technique et managériale pour les postes visés, doublé d’une absence de mécanisme de responsabilisation et de sanction :
- Malgré toutes les qualités qu’on leur prête, personne ne peut réellement savoir « tout faire » d’emblée, sans préparation, sans coaching « d’apprentissage », sans immersion dans le milieu d’activité pendant quelques temps (combien de temps faut-il pour « comprendre » un nouveau champ de travail) ; dès lors, quelle justification à nommer « dirigeant » quelqu’un qui n’est encore qu’un « apprentis », surtout qu’il va repartir en général après 2 ou 3 ans ?
- Par ailleurs, comment imposer une garantie de continuité, de « tuilage » en cas de départ et comment responsabiliser sur la base du suivi des décisions prises alors que l’intéressé ne sera plus là pour connaître l’impact de ces décisions. On le sait, en dehors de quelques exemples historiques de fautes graves où il y a eu condamnation et/ou « punition », il n’y aucune sanction des résultats médiocres. On n’évalue pas un haut fonctionnaire. Il aura toujours un prochain poste.
Et puis il faut terminer ce billet d’humeur en parlant du principal risque en période de réduction des « hauts postes » de la fonction publique ; on risque de plus en plus de ne pas pouvoir caser tout le monde à des postes élevés dans la « machine publique », alors que ça fait partie du contrat implicite des grandes écoles comme l’ENA. Et comment faire alors, sinon en les imposant en dehors du champ habituel de leurs compétences et dans des postes de plus en plus « prélevés » sur la société civile, au détriment de l’efficacité et l’efficience nécessaire en temps de crise ? Et ce en laissant sur le carreau ceux qui normalement auraient pu prétendre à ces postes mais ne bénéficient pas des statuts privilégiés et des réseaux de décision en amont (heureusement, Pôle Emploi les intègrent avec bonheur).
Alors, chiche : On réévalue tous les postes existants de la haute fonction publique en établissant des fiches précises des tâches à accomplir, que l’on confronte aux CV de ceux qui occupent les places (nos voisins Belges l'ont fait il y a quelques années) ? Pour ceux qui sont réellement compétent (disons la majorité), le risque est faible et ils seront sélectionnés dans leurs propres postes… Mais la société sera rassurée sur la qualité de la gouvernance publique.
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