La ministre en charge de la santé, Marisol Touraine, accompagnée de deux de ses ministres délégués, a annoncé fin septembre un engagement du gouvernement, que certains n’attendaient plus, en présentant devant le gratin de ceux qui gouvernent le système de santé sa proposition pour une stratégie nationale de santé, avec une feuille de route assez consistante ref.
La ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, était également présente, et elle a parlé de meilleure formation pour les professionnels de santé (enfin !!) et de « renforcer » le lien entre la recherche en santé et les besoins du système de santé (lien pas facile à trouver pour l’instant).
On nous a aussi dit que le ministre de l’éducation, Vincent Peillon, veut développer l’éducation à la santé des élèves. Nécessaire.
Les ministres ont d’abord laissé parler Mr Cordier, pilote du « comité des sages » en charge d’élaborer des propositions pour cette stratégie au cours du premier semestre 2013. C’est un événement en soi : il est rare que 4 ministres restent assis sagement à écouter des experts. Le « rapport Cordier » suggérait en juillet 19 actions structurantes pour réformer notre système de santé, puis il avait semblé « enterré » pendant l’été. Cela avait soulevé nombres de commentaires des acteurs nombreux qui y avaient contribué et étaient plutôt frustrés.
Le constat : notre système de santé est en difficulté et pourtant on y dépense pas mal d’argent. Nous savons tous que ça va mal, du professionnel de santé au demandeur de soin, pas un jour sans parler des problèmes, lacunes, erreurs, incompétences et incompréhensions… mais aussi déficits, insuffisances de moyens humains et matériels et perte d’efficacité en terme de mortalité et de qualité de vie. Pourtant, il y a de la compétence en quantité, de l’engagement personnel et de la motivation des professionnels, des succès « sans le dire » auxquels on « s’habitue » comme étant la norme. Le constat assez partagé est qu’on pourrait faire beaucoup mieux et probablement (mais c’est moins consensuel) presque tout ce dont on peut « rêver » en réorganisant l’existant « à coût » constant.
Aucune des actions proposées par la ministre dans sa « feuille de route » n’est « scandaleuse » et tout expert et professionnel raisonnable pourrait y trouver matière à construire. Mais c’est dans les détails de la mise en œuvre que vont se jouer les obstacles car il serait naïf de croire qu’un engagement politique d’un gouvernement suffit, même si 5 ministres sont impliqués :
- Il va falloir modifier les modes de rémunérations des professionnels, avec beaucoup de transparence sur les niveaux et avantages… qu’ils soient publics ou privés.
- Il va falloir modifier les pratiques professionnelles : limiter l’isolement de certains et les obliger à s’associer, médecins et autres ; coordonner le médical et le social ; amener les hôpitaux hors des murs… en levant les obstacles administratifs aux collaborations, mais aussi en surmontant les barrières culturelles « historiques » de professionnels « ennemis ». La mise en place d’outils obligatoires d’échanges et d’information est prévue. Mais les professionnels de santé vont devoir accepter des changements d’habitudes et peut-être même des contraintes sans compensation… en dehors de la satisfaction de faire mieux.
- Les usagers du système et les citoyens doivent s’engager. Cela leur demandera d’acquérir plus de culture de santé, pas seulement le« bon sens » et l’expression de perceptions immédiates, mais une connaissance plus complète et même scientifique des enjeux… L’école et la formation des enfants y contribueront pour le futur, mais en attendant, il faudra aller au delà de critiques parfois peu éclairées et accepter que nous avons tous des responsabilité économiques individuelle dans les « déficits » qui sont largement lié à notre façon de « consommer » le système de santé.
- Il faut aussi réformer l’administration, la gestion et la gouvernance des institutions de santé. Les responsabilités ne sont pas que du côté des professionnels du terrain. En particulier, il faut revoir le lien entre la sécu, les parlementaires, le gouvernement et ses antennes centrales et décentralisées, les ARS en particulier. Leurs rôles respectifs restent mal définis, éclatés et divergents dans la gouvernance des différents secteurs de la santé.
La presse qui fait suite à l’annonce de la stratégie l’a bien montré : Selon les acteurs qui réagissent, c’est tel ou tel point de détail qui est mis en avant, plutôt illustratif des divers corporatismes et les medias offrent rarement une compréhension globale de la réforme proposée.
Certes, il y a de nombreux groupes de travail techniques au ministère de la santé qui planchent sur la mise en œuvre de morceaux de la réforme… Mais où est le pilote visible, charismatique, expliquant et traduisant ce qui est en route, pour des citoyens dont l’intérêt pour la santé est pourtant réaffirmé à chaque « sondage » ?
Si le résultat n’est que le texte de loi en patchwork qu’on appellera Loi de Santé, ça va être décevant. Mais attention, c’est nécessaire… mais pas suffisant.
Soyons donc tous, professionnels et citoyens, attentif à ne pas laisser cette tentative se perdre dans les méandre de la production de régulations centralisées, alors même que la feuille de route ministérielle nous dit bien que « l’administration centrale » de la santé est encore celle qui a le plus de progrès à faire…
Et puis gardons en tête que si cette réforme échoue, ne resteront en bonne santé que ceux qui auront les clefs d’un système de plus en plus éclaté, de moins en moins solidaire et équitable et de plus en plus complexe.
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