C’est quoi un lit d’hôpital ?
Les invectives fusent, les professionnels accusent : c’est la volonté de démolition de l’hôpital par les décideurs en « réduisant le nombre de lits » qui empêche de bien prendre en charge les malades. Mais c’est quoi un lit d’hôpital ?
Un petit retour en arrière : le nombre de lits d’hôpitaux par habitant est un indicateur classique des comparaisons régionales et internationales, pour suggérer des sous-équipements ou des différences d’accès aux soins.
Au début des années 2000, alors que j’étais en poste comme conseiller du directeur au bureau de l’OMS pour l’Europe, nous avons reçu une demande d’un ministre de la santé qui nous demandait quel nombre de lits d’hôpitaux par habitant était optimal pour son pays. Pour l’anecdote, la première réponse d’un de nos collaborateurs avait été de dire : la « question du ministre est mauvaise » ! Alors que les mêmes experts commentaient régulièrement des comparaisons entre pays sur la base de cet indicateur.
La vérité était qu’effectivement la question ainsi formulée n’était pas complète, et qu’il fallait préciser ce qu’on veut dire en parlant de « lit d’hôpital ».
Le bureau régional s’est alors mobilisé pour apporter une réponse plus complète et scientifiquement établie.
Ce travail a donné lieu à une publication en 2004 sur les lits d’hôpitaux, leur définition, les leçons apprises par la gestion de leurs nombres et leur organisation. J’en recommande la lecture, ou un survol, ou a minima la lecture de l’introduction (en anglais).
Dans ce livre, l’auteur principal, Martin McKee nous offre dans son introduction toutes les questions qui se posent pour pouvoir définir « un lit d’hôpital ».
(ref : Policy brief no. 6 Reducing hospital beds: what are the lessons to be learned?)
Traduction par moi-même avec Google translate...
« Qu'entend-on par un lit d'hôpital ? Cette question, faussement simple, soulève beaucoup d'autres interrogations.
Il est en fait presque impossible de répondre à cette question apparemment simple.
Bien que le nombre de lits d'hôpitaux soit fréquemment utilisé comme mesure de la capacité d'un système de soins, un lit n'est qu'un meuble sur lequel un patient peut s'allonger.
Pour qu’un lit apporte une contribution significative à la capacité d’un établissement de soins à traiter quelqu'un, il doit être accompagné par des infrastructures hospitalières adéquates, ce qui inclue des professionnels qualifiés, du personnel d'encadrement, de l'équipement et des produits de santé appropriés. De plus, il existe de nombreux types de lits d'hôpitaux, reflétant les différences dans le type de patient qu'ils vont accueillir. Un lit pour un patient en rééducation après un AVC est très différent d'un lit conçu pour des patients avec des insuffisances d’organes variées, qui peuvent demander de l’assistance respiratoire, de l’assistance circulatoire ou de la dialyse.
Pour compliquer le tableau, il y a aussi du mobilier à l'intérieur des hôpitaux qui semblent être des lits mais ne sont pas inclus dans le nombre de lits d'hôpitaux (par exemple les lits pour les accompagnants, les berceaux pour les nouveau-nés...
De même, il y a des équipements qui ne sont pas des lits mais peuvent parfois être comptés comme tels, par exemple les fauteuils dans lesquels les patients sont dialysés. »
Aujourd’hui, 15 ans après, nombre de traitements qui étaient effectués à l’hôpital dans le passé peuvent être réalisés à domicile, par exemple les traitements anticancéreux. Qu’est-ce qu’un lit de traitement à domicile, faut-il l’inclure dans le comptage des « lits d’hôpitaux » ?
On perçoit bien qu’avant de parler de lits d’hôpitaux de façon globale, il faut se poser la question du besoin spécifique de chaque type, qui conditionne des investissements en matériel, en personnel et en organisation très différents.
Et si ce travail stratégique n’est peut-être pas assez systématique à l’échelle des institutions de gouvernance du système de santé, ce que l’on doit regretter, ça ne justifie pas de prendre un indicateur générique qui n’a pas de grande signification pour montrer des déficiences de gestion.
L’évaluation des politiques publiques, la « contestation » de la gouvernance, devraient comporter toujours des obligations de réflexion plus factuelle, plus scientifique, pour être pertinentes. On peut manquer de certains « lits d’hôpitaux », de personnels, de structures de coordination... et avoir en même temps trop d’autres types d’organisations hospitalières ... On devrait pouvoir faire évoluer des infrastructures quand les connaissances scientifiques le justifient... Et c’est souvent là que certains corporatismes viennent perturber les enjeux du débat.
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